MARSEILLE 2013
Le premier art
Francis Baiardi
est une jeune chorégraphe de Manaus, capitale de l’Amazonie brésilienne, qui
entretient avec Marseille et la Cie du Rêve de la Soie une intense relation de
création qui ne cesse de nous émerveiller depuis Présences de Patrick Servius, récemment créée au théâtre Amazonia
de Manaus, mais qui avait été longuement mûrie à l’ombrière du Vieux-Port.
Programmée au Grenier du Corps, elle
a ainsi prolongé l’enchantement en première partie de la diva Elsa Wolliatson,
dont chaque apparition, désormais, constitue un événement. Et la Maîtresse n’a
pas eu à rougir de l’élève, tellement celle-ci a impressionné et captivé un
public qui ne s’attendait certes pas à une telle plongée au plus profond du
monde de la Forêt et du Fleuve.
La création de
Francis Baiardi s’intitule Dinahi et
fait référence à la mythologie amérindienne d’une déesse de l’eau. Cependant
l’ambition de cette création, encore en phase de maturation, est de transposer
la permanence du mythe dans la réalité contemporaine, la réalité charnelle et
émotionnelle d’une jeune amazonienne qui s’éveille à la conscience de sa présence
au monde. Car si la Terre est un corps, l’humanité a désormais acté que
l’Amazonie en est le poumon. La forêt de Francis est la respiration du monde. L’humanité
entière porte désormais attention à la Grande Forêt sillonnée de fleuves. Mais
qu’a donc, aujourd’hui, la Forêt si précieuse à nous dire (et qui-donc,
forcément, engage le destin du monde) ? Et dans quel langage qui nous soit
encore accessible ? Voilà deux questions que posent et proposent la
performance de Francis, au sortir de ce ravissement qui
nous déplace et nous replace au centre premier de la Création. La création du
monde, la création de l’humain, la création d’une femme, la création d’un art...
Et d’abord la
question du langage. Du haut de son aventureuse prédation coloniale, l’Occident
a mis en scène les cultures du monde sous le label des « arts
premiers ». C’est au renversement de cette perspective qu’invite, en
premier lieu, l’expression de Francis. Avec elle, il s’agit non plus des
« arts premiers », mais bel et bien du « Premier Art ». En
dépit de toutes les distances, le langage intérieur que parle cette création
chorégraphique fais écho en nous parce qu’il fait appel à un état premier que
tout humain partage dans l’intimité et la mémoire atavique de son corps. Le
premier art est l’art de la vérité. C’est un art, non du dévoilement (puisque
rien n’a encore été voilé), mais du dévoilé. La vérité est nue. La vérité de la
création est une mise à nu. A partir de là, le corps entame son ascension vers
son humanité et la femme peut devenir l’Homme. « Je suis la Forêt »,
« Je suis la légende », « Soy Francis »... Le premier art
est un art total. Tout y est intégré dans l’Un de la présence. Voyez les signes,
et cet art tatoué de la plastique qui est un art plastique. Partagez le rituel
initial et entrez dans le cercle initiatique qui vous ouvre les portes des
premiers gestes et des premiers mots. Ecoutez la musique de l’eau qui féconde
la vie luxuriante (la vie riant de ce luxe). Convenez à cette dramaturgie du
théâtre de l’Histoire... Le premier art nous ramène au centre essentiel de
toute chose, de tout geste, de toute pensée qui est création.
Et c’est sans
doute là l’inestimable message de la Forêt à nos métropoles prédatrices, là
aussi la force du projet de Francis : celle de nous ramener à des choses
essentielles, que nous avons enfouies – telles des braises finissantes – sous
des artifices que nous essayons vainement de qualifier d’art... Des arts que
nous reconnaissons « seconds » par opposition à ceux présentés au
Quai Branly ; ces « arts premiers » qu’il nous faut
impérativement envisager sous l’angle révolutionnaire d’un retour aux sources
de nos humanités. Alors nous partagerons avec les « arts premiers »
la vérité universelle du premier art...
Celle qui sortira l’Autre de l’étrangeté de son statut d’étranger, en nous
rendant « étrangers » à nous-mêmes pour mieux nous retrouver dans la
nudité de notre commune destinée.
Nenhum comentário:
Postar um comentário